Thierry Birrer - Photograph...isme

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à la crise migratoire
consécutive au conflit syrien

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Reportage dans le camp d'Oreokastro (décembre 2016)

Situé à peine à plus de trois kilomètres du camp de Diavata, le camp d'Oreokastro a vu le jour à la toute fin du mois de juin 2016 lorsque le camp sauvage d'Idomeni, le long de la frontière macédonienne, a été démantelé par le gouvernement grec pour raisons sanitaires et de sécurité. Géré par l'armée grecque mais surveillé par la police, ce camp est installé dans une ancienne usine de tabac abandonnée suite à la crise économique de 2008, en réalité deux grandes halles industrielles accollées d'une surface totale de 13.000 m² (photo satellitaire © Google Maps ci-après).
L'usine, et donc le camp, est entièrement ceinturée d'un mur, celui d'origine de l'usine. Il aurait pu contenir jusqu'à 1500 réfugiés, mais en fait il n'y a jamais eu guère plus d'un millier de personnes dans ce camp, toutes logées dans des tentes. Le camp n'est équipé d'aucune infrastructure, des toilettes et des douches de chantier ayant été installées en face des anciens quais de déchargement de l'usine, des quais qui sont aujourd'hui utilisés pour ravitailler les réfugiés en nourriture et biens divers. Comme tous les camps "fermés" installés dans des usines, la promiscuité y est de mise, de même que la pénombre. Les problèmes électriques y sont récurrents. A la mi-décembre 2016, le camp a été privé d'électricité durant plus de dix jours consécutifs, ce qui a entraîné des mouvements de mécontentements des réfugiés qui n'ont pas hésité à sortir s'installer sur la route qui dessert l'usine afin de protester. Lors de ma présence entre le 20 et le 25 décembre 2016, j'ai pu constater de très nombreuses coupures d'électricité, parfois durant plusieurs heures. Entouré de champs, le site est très venté et particulièrement froid en hiver et à l'opposé très – trop – chaud en été.
Au 6 janvier 2016, il reste encore 300 réfugiés dans ce camp. Le camp est actuellement en passe d'être vidé du reste de ses ressortissants (qui sont petit à petit installés dans des hôtels ou des appartements dans la région de Thessalonique) afin semble t'il d'y abriter des réfugiés en surnombre et dans des conditions de vie encore plus difficiles sur les îles au sud d'Athènes (on dénombre 16.500 réfugiés sur Chios, Samos, Leros et Kos pour 7.450 places), quoique Yannis Mouzalas, le ministre en charge de l'émigration, ait déclaré lundi 2 janvier que « si les réfugiés se trouvant actuellement sur les îles se déplaçaient vers le continent, l'accord de réinstallation des réfugiés entre l'Union européenne et la Turquie pourrait être menacé. »

Ce camp est lui aussi interdit à toute visite. Il existe une petite entrée non surveillée à l'est, mais la vigilance policière est loin d'être efficace. Le soir de Noël par exemple, dès 17h00, il n'y avait même plus aucun policier dans la guérite à l'entrée et n'importe qui pouvait alors entrer et sortir comme bon lui semble !
Situé dans une zone industrielle isolée à l'extérieur de la rocade de contournement de Thessalonique, ce campement est très éloigné de tout puisqu'à 5,6 km des commerces de Diavata ou à 5,1 km des commerces d'Anthokipi. Les réfugiés qui le peuvent utilisent le bus qui les mènent à Thessalonique en environ une heure de temps.

Les tentes sont accolées les unes aux autres et pour la plupart couvertes de protection isolantes afin de les protéger du froid. Toutes les tentes ne disposent pas de petits chauffages individuels soufflants mais quand bien même ils en auraient l'absence d'électricité du 5 au 17 décembre 2016 alors même que les températures étaient inférieures à zéro ont rendu les conditions de vie particulièrement pénibles pour les enfants et les personnes âgées. Par mesure de sécurité compte tenu de lieux fermés et de tentes en toile, les braseros sont interdits, mais il n'est pas rare d'en trouver.

La configuration et la typologie des lieux (du béton, du béton et encore du béton avec de maigres fenêtres) rend les lieux très sombres et froid. La halle étant gigantesque (185 mètres de long), elle est aussi particulièrement bruyante. Le campement compte 200 tentes mais seulement dix douches et aucune différenciation entre les hommes et les femmes. Ce qui n'est pas sans poser de réels problèmes.
Il n'y a pas d'eau chaude pour laver. Et comme à Diavata, il n'y a aucune activité (scolaire, ludique, culturelle) entretenue ou développée par une ONG puisqu'elles y sont interdites, sauf NCR (The Norwegian Refugee Council) qui gère et distribue les repas et quelques objets (distribution de lampes d'éclairage rechargeables par manivelle le 14 décembre par exemple) mais son action est très critiquée par les réfugiés qui à plusieurs reprises m'ont déclaré « NCR, no good ! They do nothing for us !  ».
Quoique dûment agréée par l'administration grecque, NRC ne fait pas dans la langue de bois et publie sur son site le 2 décembre 2016 que « bien des camps en Grèce sont bien en-dessous des standars humanitaires les plus faibles ». A Oreokastro que NRC décrit avec « des conditions maintenant si épouvantables », l'ONG norvégienne tente de reloger les personnes vulnérables (femmes seules, enfants orphelins, personnes âgées ou malades) dans des hôtels ou des appartements à Thessalonique. Deux des familles que je suis depuis leur éviction du camp sauvage d'EKO Station début juin 2016 ont effectivement été relogées ces derniers jours en hôtel à Thessalonique. Dans le même message du 2 décembre, Alain Homsy, le responsable de NRC en Grèce déclare : « NRC et les autres intervenants humanitaires tentent de combler les lacunes mais la vérité est que bon nombre des installations actuelles ne sont pas des endroits convenables pour les familles et devraient être fermées. ».

Les réfugiés disposent de peu de choses, ils sont dans des camps (de fortune jusqu'en mai ou juin 2016 puis ici ensuite) depuis au mieux février 2016, mais ils tentent malgré tout d'égayer leur quotidien dans la mesure de leurs possibilités. Cette famille a utilisé la laine d'un pull usagé pour confectionner des guirlandes.

Ci-dessous, lavage de la vaiselle à l'eau froide (il n'y a aucune eau chaude dans le camp).

Les extérieurs du bâtiment servent à étendre le linge, mais certaines familles ont choisi d'y installer leur tente afin de moins souffrir de la promiscuité.

Comme indiqué plus haut, le camp d'Oreokastro étant situé loin de tout commerce, certains ont choisi de s'instaurer épicier, utilisant les services d'un taxi ou d'un bus pour aller au supermarché acquérir des compléments alimentaires qu'ils revendent ensuite avec un petit bénéfice. Ils sont quatre à agir de la sorte dans le camp mais les prix sont strictement identiques chez les quatre épiciers improvisés. Deux autres réfugiés se sont associés pour proposer les services de coiffeur et barbier.

Un espace extérieur a été aménagé en aire de jeux pour enfants (25 % des personnes ont moins de 10 ans). C'est le seul équipement du campement. Deux grandes tentes dans un hangar font office de salle de classe, mais il n'y a pas une seule table, pas une seule chaise et pas un seul tapis au sol. Il n'y a pas non plus franchement d'enseignants parmi les réfugiés, ce qui fait qu'il n'y a pas de cours. Pourtant le ministre grec de l'éducation s'était engagé à ce qu'à partir du mois de septembre 2016 chaque enfant de réfugié puisse accéder à un enseignement normal. C'est très très loin d'être le cas puisque qu'à peine un enfant réfugié sur dix a accès à un enseignement normal.

Le drame d'Alep est au coeur des préoccupations de ces réfugiés dont bon nombre ont justement fuit la ville bombardée. Ils n'hésitent pas à afficher leur soutien à leurs concitoyens restés sur place et ils dénoncent l'attentisme des capitales occidentales.

Ce mot, "jail" en anglais ou "سجن" en arabe qui signifie "prison", me semble parfaitement résumer la situation :

Ci-dessous, distribution de jouets aux enfants le 20 décembre 2016, une distribution orchestrée par deux minuscules ONG françaises, Refugee Smile de Cannes (06) et Un Geste pour Tous de Nice (06) qui ont pu entrer dans le camp grâce aux (excellentes !) relations d'un réfugié syrien avec le poste de police à l'entrée, et ce alors que la personne en charge de ce dossier au Ministère à Thessalonique avait adressé un veto aux deux ONG. Les jouets avaient été collectés grâce à l'aide d'une troisième ONG, Coeur & Act de Paris, qui avait obtenu des dons directement de Mattel France.

 

Pour des raisons personnelles (refus de la promiscuité, mésentente, besoin de solitude, besoin d'air frais), plusieurs familles se sont installées en dehors des halls industriels. Les tentes qu'elles utilisent ne sont cependant pas conçues pour être des espaces de vie familiaux des mois durant et ne résistent que très mal aux grands vents.

Autant il y a de Grecs prêts à aider les réfugiés (alors qu'eux-mêmes sont dans une situation économique précaire) autant il y a de Grecs racistes, voire même "fascistes" comme m'a déclaré un humanitaire en charge d'un camp de réfugiés. Les marques de défiance envers les réfugiés sont nombreuses, notamment aux abords des campements.
Ainsi aux abords du site d'Oreokastro, les autres activités industrielles se sont prémuniées de toute intrusion de réfugiés par la pose de rouleaux de barbelés. Cela donne une impression très particulière que ces usines gardées la nuit par des molosses très dissuasifs, du moins en voix, et des kilomètres de fils de fer barbelés posés tout autour des halles, industries et usines.
Sur un plan sécuritaire, mais à l'intérieur du camp cette fois, de manière à surveiller les toilettes la nuit et éviter d'éventuelles agressions sur les femmes, un vigile fait le pied de grue toute la nuit à proximité des toilettes. Une activité de surveillance développée par la société grecque G4S, une filiale de la société britannique G4S qui a pris son envol avec la privatisation britannique des centres de rétention des migrants. Ou comment faire du malheur des uns le bonheur financier des autres ...

 

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